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03 Sep

19 ans après la disparition de Jean-Marie Adiaffi:Incursion dans les écoles de mystère du bossonisme dans l’Indénié-Djuablin

Le 15 novembre 1999, Jean-Marie Adiaffi, écrivain attaché à la modernisation des religions africaines et inventeur du ‘’bossonisme’’, rendait l’âme. 19 ans après la disparition de celui qui luttait pour une revalorisation de la spiritualité africaine, que reste-t-il des prêtres ‘’Komians’’ et de leurs écoles de mystère, créées dans l’Indénié-Djuablin. Notre reportage.

Aniassué, sous-préfecture située à 22 km, au sud d’Abengourou. La localité est bien connue dans l’Indénié-Djuablin, à travers son centre de formation des prêtres ‘’Komians’’. Le 9 mars 2018, en milieu de matinée, nous faisons une incursion dans ledit centre. C’est un domaine clôturé, composé d’une grande cour, d'une coquette villa et de pièces attenantes.

L’ambiance est calme à cette heure. Nous trouvons alitée dame Eponon Adjoua Messouma, la maîtresse des lieux. Terrassée par le paludisme. La formatrice en question, est une dame âgée d’une cinquantaine d’années. Malgré son état de santé, elle nous reçoit et nous explique qu’elle a ouvert son école, en 1992, après une formation de sept années, au mysticisme.

Sur place, nous trouvons sept (7) élèves-bossonnistes et leurs encadreurs. Ici, nous apprend la formatrice, on allie la pratique de la clairvoyance et de la divination, à celle du combat mystique. C’est le monde de l’ésotérisme. « Même si la mort de Jean-Marie Adiaffi a laissé un grand vide dans la défense de notre culture, nous continuons nos activités », soutient-elle. Dans l’une des pièces qu’on nous fait visiter, après avoir ôté nos chaussures (signe de pureté), sont disposées diverses statuettes. Qui représentent, chacune, une divinité (bosson). Lesquelles divinités servent de courroie de transmission entre Dieu et les hommes. Ainsi, on peut compter celle de la fécondité, celle de la protection, etc. Près de ces représentations, sont disposés des œufs qui constituent les principales offrandes des ‘’bossons’’.

Alors que nous sommes encore sur les lieux, une adolescence faisant montre d’une impétuosité particulière, franchit brusquement le portail de la concession. Elle est en transe. C’est une nouvelle venue. Elle serait sous l’emprise des ‘’bossons’’ (divinités), qui ont porté leur choix sur elle. Elle est aussitôt prise en charge par deux femmes qui la saupoudrent de kaolin. Elle reprend, peu après, ses esprits. « C’est ainsi que certains de mes élèves arrivent dans le centre, pour y être admis. Cette transe est le fait des ‘’bossons’’. Si nous ne la prenons pas en charge pour son initiation, ces ‘’bossons’’ ne la laisserons jamais tranquille. Elle risque même la folie », nous confie la célèbre prêtresse Eponon. Elle nous explique que la nouvelle adepte sera ainsi orientée sur le chemin initiatique du ‘’bossonnisme’’.

La formation initiatique tient sur une durée de trois (3) ans. Période d’un rigoureux apprentissage au bout duquel, le nouvel initié est rendu à sa famille. Il aura alors maîtrisé l’art de communiquer avec les ‘’bossons’’ qui lui apprendront, entre autres, la vision et les vertus médicinales des plantes de la forêt. Il peut alors ouvrir son cabinet de consultation.

Mercredi 2 mai 2018, il est 12 h 35', lorsque nous mettons le cap sur une autre école de formation des prêtres ‘’Komians’’. Celle-là est au quartier ‘’Guikahué’’, au sud-est de la ville d’Abengourou. Elle est sous la direction de Yao Abozan Christine, 78 ans. Cette dernière, nous indique-t-on, fait office de ‘’patronne’’ de tous les responsables des écoles de formation du ‘’bossonisme’’, dans l’Indénié-Djuablin. Elle exerce ce métier depuis plus d’une cinquantaine d’années et en a fait son activité principale.

Aujourd’hui est un jour particulier et il y a du monde. Une élève du ‘’bossonnisme’’ doit subir un rite d’initiation. Son nom Méa Mougo Yah Ambroisine, âgée de 40 ans. Ce rituel dit ‘’d’ouverture de bouche’’, doit à terme, donner le pouvoir à cette initiée, de faire des révélations. Le moment est solennel. Vu que cette phase de la formation de l’initié, passe pour être un test. Non seulement pour l’impétrant, mais également pour Yao Abozan Christine, la vieille formatrice.

« J’ai été contrainte de faire venir ma fille dans cette école, pour qu’elle soit libérée des perpétuelles transes. Son commerce ne marchait pas, chaque fois qu’elle tombait enceinte, la grossesse tombait. Elle était confrontée à de multiples problèmes, au point d’être accusée de sorcellerie et conduite devant les tribunaux. Plus tard, on m’apprendra que c’est l’emprise des ‘’bossons’’, qui est à la base de ces perturbations. En tout cas, depuis plus d’un an qu’elle est dans cette école, sa vie s’est stabilisée », nous confie Kanga Ama Hortense, la mère de l’élève à initier.

Contact et dialogue avec le monde invisible

C’est donc avec l’accord de sa mère que l’initiation de la jeune femme est mise en route. Pour cette étape, une dizaine d’autres prêtres ‘’komians’’, venus de toute la région, sont présents pour apporter leur soutien à la directrice de l’école. Avant la cérémonie, les tam-tams crépitent dans la grande cour. Ici, un cercle, symbole de protection, est tracé à l’aide de kaolin. C’est à l’intérieur dudit cercle que toute la cérémonie devra se tenir. Dans un sanctuaire, les prêtres sont en pleine concentration, autour de l’élève à initier. Elle parait tendue. Dans une autre pièce, la prêtresse formatrice, isolée, se pare de ses attributs traditionnels.

Avant la sortie de la formatrice et de la candidate, une première vague de prêtres en transe et parés de leur tenue rituelle, fait son apparition en dansant au son du tam-tam. Ce sont les éclaireurs, venus sécuriser les lieux. L’un d’eux tient une sagaie. Prêt à engager le combat mystique, avec les éventuels sorciers et autres trouble-fêtes. Ils font plusieurs pirouettes. La voie étant « libre », la formatrice et son élève font à leur tour, leur apparition en dansant.

Le rythme des tam-tams monte d’un cran. Puis vient le moment d’avoir l’onction des divinités, pour la tenue du rituel. A ce niveau, les ‘’bossons’’ opposent une réserve. Vu que, selon eux, le père de celle qui devrait être initiée n’a pas été consulté et associé à la tenue de la cérémonie. Le refus des ‘’bossons’’ est symbolisé par la disposition des coquilles d’œufs brisés au sol. S’ensuivent, alors, des tractations, pour demander la clémence des êtres invisibles. La négociation est serrée et les ‘’komians’’, visiblement éprouvés, transpirent à grosses gouttes. Enfin, les ‘’bossons’, après avoir exigé une noix de cola, donnent leur accord, pour la poursuite de l’initiation.

Au seuil de l’au-délà…

Les moments qui suivent, la candidate à l’initiation, tombe dans les pommes. A ce moment précis, nous apprend-on, elle est entre la vie et la mort. Pour tout dire, elle serait au seuil de la porte de l’au-delà. Et c’est le moment de lui ‘’ouvrir la bouche’’. Lui donnant ainsi le pouvoir, de faire des révélations. Si la manœuvre échoue, elle ne reviendra plus jamais à la vie. Le moment est fatidique et à l’évidence, la formatrice est tendue. Ici, se joue sa compétence.

Un homme portant le qualificatif ‘’d’akoto’’ , introduit des outils semblables à des couteaux, entre les lèvres de la candidate, toujours inconsciente. Le rituel dure une dizaine de minutes. Cela fait, à trois reprises, on appelle l’impétrante par son nom. Elle répond. Pari réussi ! C’est l’hystérie dans la foule. La formatrice est portée en triomphe.

La candidate doit maintenant faire trois révélations, qui doivent être confirmées par n’importe quel témoin dans le public. Et ce, pour démontrer son nouveau pouvoir de vision, acquis. A ce niveau également, les faits relatés par Méa Mougo Yah Ambroisine sont avérés, selon des spectateurs venus assister à la scène. La cérémonie qui s’apparente à un succès, s’achève dans une liesse populaire. Les prochains mois, ce sera au tour d’un autre pensionnaire du centre de se soumettre à la même initiation.

Trois principales écoles de formation dans la région

Dans la région de l’Indénié-Djuablin, on dénombre trois principales écoles de formations de ‘’komians’’, créées depuis plusieurs années. Le premier centre est localisé dans la sous-préfecture de Tanguelan (le village natal du ministre Pascal Kouakou Abinan situé à 16 km au sud-ouest d’Agnibilékrou). Il est sous la direction de la prêtresse Ahi Alloua. La deuxième école est située dans la sous-préfecture d’Aniassué et dirigée par la prêtresse Eponon Adjoua Messouma. La troisième école de formation mystique, est logée dans la ville d’Abengourou.

Les trois écoles ont sensiblement la même configuration architecturale : une grande concession clôturée et composée d’une villa de deux ou trois pièces et des chambres attenantes, alignées à l’extérieur. C’est dans ces chambres que les élèves logent durant leur séjour de trois ans. L’une des pièces sert de sanctuaire où siègent les ‘’bossons’’. Ce sont ces divinités qui donnent constamment des messages aux ‘’komians’’.

Que ce soit à Agnibilékrou ou à Abengourou, les rois Nanan Agnini Bilé II du Djuablin et Nanan Boa Kouassi III de l’Indénié ne sortent jamais publiquement sans que ces ‘’komians’’ n’aient, auparavant, exécuté un rituel dit ‘’de purification mystique » des lieux.

La diabolisation des « komians » par des évangéliques

Satanisme ? Sorcellerie ? Ou valeurs traditionnelles à préserver ? En tout cas, Jean-Marie Adé Adiaffi, célèbre anthropologue ivoirien (1941 – 1999), lui, ne se posait pas la question. Convaincu qu’il a été, que les écoles de formation de ‘’komians’’, doivent être sauvegardées, pour leur donner l’occasion de perpétuer les valeurs du ‘’bossonisme’’. Ce concept spirituel qui, selon ses convictions, constitue les fondements de la religion africaine.

Au quartier ‘’Guikahué’’, à Abengourou où est située l’école de formation des « komians », cinq églises chrétiennes évangéliques sont installées dans le secteur. La cohabitation donne lieu à une perpétuelle opposition larvée. Pour l’ensemble des pasteurs approchés, le débat ne mérite pas d’être mené. Ces écoles sont tout simplement diaboliques. Et ils interdisent formellement à leurs fidèles de fréquenter ces lieux où, selon eux, ils courent le risque de choper un esprit malveillant.

A ces diatribes, Yao Abozan Christine, la figure de proue des formateurs des ‘’komians’’ dans l’Indénié-Djuablin, réagit. « Nous ne renions pas l’existence de Dieu qui est le Créateur de toutes choses. Chez nous, on parle de ‘’bossons’’ comme on évoque également le cas ‘’des anges’’, dans les religions occidentales. Les ‘’bossons’’ sont pour nous, des intermédiaires entre Dieu et les hommes. C’est une erreur d’assimiler nos écoles à des lieux sataniques. Ces activités font partie de nos traditions. Nous pensons qu’on devrait songer à établir une complémentarité entre nous et les médecins modernes », a-t-elle fait prévaloir.

Zéphirin NANGO (Correspondant régional)

Source: linfodrome

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